Pas
si fou que ça -- Publié dans l'Acadiana Profile du 1er juin.
Zachary
Richard, Ralph pour les intimes, a fait un sacré bout de chemin depuis sa
naissance à Scott, là où l’Ouest commence, la capitale mondiale du boudin. Il
aurait pu rester le fils de son père, jouant dans les bars du coin, voire la
Nouvelle-Orléans de temps en temps, ou prendre son diplôme en histoire de
Tulane pour entrer à une faculté de droit et poursuivre une autre carrière. L’énorme
talent et l’impulsion créative qui semblent l’habitaient depuis toujours en ont
décidé autrement. Et pourtant, sa carrière musicale, surtout en français, a failli
ne jamais avoir lieu. L’histoire, aujourd’hui passée au royaume des légendes, veut
que le jeune Ralph, avec cent piastres avancées par un mécène qui lui a dit
d’aller chercher sa fortune au Québec, ait accompagné un ami qui montait en
voiture pour faire des études à l’Université McGill. À la frontière, le
douanier, voyant l’équipement musical sur le banc arrière, leur demande ce
qu’ils viennent faire au Canada. Le chauffeur sort son visa d’étudiant et lui
justifie la raison de son séjour. À son tour, et encore selon la légende, Richard
lui annonce, « Je viens pour chanter et devenir célèbre ». Quand le
douanier, pas impressionné par l’audace, lui demande de montrer son permis de
travail canadien, il ne le peut pas. Refoulés à la frontière plusieurs fois
après d’autres tentatives semblables et quelques jours d’hôtel, Richard réussit
enfin à retrouver un promoteur qui lui envoie un contrat prouvant qu’il a le
droit de travailler au pays de ces « quelques arpents de neige »,
comme le disait Voltaire. Le reste, selon le dicton, c’est de l’histoire. Après
tout le mal qu’il s’est donné, est-ce un hasard ironique que son premier succès
était « Travailler, c’est trop dur » ?
Ce
long travail acharné a transformé Ralph en Zachary, nettement plus rock’n’roll,
mais aussi en honneur d’un ancêtre dont le nom lui a été donné en deuxième
prénom. C’est en quelque sorte avec cette deuxième naissance qu’il est devenu
l’homme de la renaissance acadienne en Louisiane. Comme les oiseaux migrateurs
de ses chansons, sa poésie et son engagement écologique, il fait le va-et-vient
entre deux langues, deux continents, trois pays et maintes cultures. Un vrai
citoyen du monde autant enraciné dans les marais de l’Atchafalaya que ceux du
Saint-Laurent, du Petit Codiac ou du Poitou. Comme les fous de Bassan, les oies
canadiennes ou les canards français, peu lui importe les frontières, ces lignes
artificielles que les hommes ont dessinées sur la mappemonde. Le respect du
passé, des traditions et de la nature, combiné avec une persévérance quasi-génétique
(ce n’est pas pour rien qu’on dit Cadien tête-dure) qui frôle l’obstination ont
informé l’ensemble de son œuvre qui souffle ses 40 chandelles cette année, si
l’on démarre le compteur en 1973 avec l’enregistrement de son tout premier
disque, « High Times ». Longtemps perdu dans un trou noir juridique,
Richard a pu le sortir seulement en 2001. Néanmoins, la longue courbe de son
art trace une ligne qui relie ses passions, ses amours, ses espoirs et ses
craintes. Richard comprend l’intime et fragile connexion entre la nature et les
hommes ainsi que le courage qu’il faut pour l’entretenir.
Avec
ce dernier disque, Le Fou, une boucle
est bouclée, sans que ce soit la fin, nous l’espérons très fort, de ses
activités artistique et écologique. Profondément touché par les
catastrophes-bessonnes des ouragans Katrina et Rita et la marée noire de
Macondo comme l’ont témoigné ces trois albums précédents, Richard retrouve une
tranquillité zen face aux intempéries dans Laisse le vent souffler, une détermination redoublée à vivre sa vie dans Les ailes des hirondelles, et une envie
éternelle d’un retour aux sources dans La
Chanson des migrateurs, sans rien perdre sa fougue. On la voit grandeur
nature, cette rage de vivre, dans La
ballade de Jean St. Malo, où il raconte l’histoire méconnue, mais aussi
importante pour nous que celle de Beausoleil Broussard, du marron Jean St.
Malo, un esclave fuyard qui a abandonné ses chaînes et en a aidé d’autres à en
faire autant. Comme lui, Richard n’accepte pas la raison du plus fort et crée
sa propre identité. Si tu l’appelles fou, moi aussi, je le suis.