L’héritage
des Indiens de l’Acadiana -- publié dans Acadiana Profile le 1er août 2013
« La
France possédait autrefois, dans l’Amérique septentrionale, un vaste empire qui
s’étendait depuis le Labrador jusqu’aux Florides, et depuis les rivages de
l’Atlantique jusqu’aux lacs les plus reculés du haut Canada. » Ainsi
commence Atala de François-René de
Chateaubriand, une histoire d’amour entre deux Indiens dans la pure tradition
romantique du début du XIXe siècle par le maître du genre en France. Sa
carrière littéraire débutait avec ce livre qui a comme cadre une Louisiane
aussi exotique qu’imaginée et qui fait partie d’une plus grande œuvre intitulée
Les Natchez. En gros, il raconte la
conversion des « sauvages », les non-civilisés, vers le
christianisme, première étape de leurs assimilation vers la « vraie »
culture. Ce n’est nullement une monographie anthropologique sur les premiers
habitants, mais un éloge éloquent du pouvoir civilisateur des valeurs
occidentales, comme c’était la coutume de l’époque. De ce fait, la description
des Indiens qu’on y rencontre est aussi vraisemblable que celle des montagnes
et des déserts de notre état, c'est-à-dire, pas du tout. Grâce à ce livre et
bien d’autres tels Voyages au Canada
de Jacques Cartier ou Des cannibales
de Michel de Montaigne, le mythe du « bon sauvage » s’est ancré dans
nos esprits à tel point qu’on oublie qu’au fait il y avait des hommes et des
femmes réels en chair et en os qui étaient capables de raconter eux-mêmes leur
histoire, si on avait seulement cru qu’ils avaient une histoire à raconter.
Dans
la région qui constitue aujourd’hui le bassin Tèche-Vermilion, certains
anthropologues et archéologues pensent que des êtres humains y ont habité
continuellement depuis au moins cinq mille ans et peut-être bien plus. Sur les
bords du bayou Vermilion, par exemple, jusqu’à l’eau haute de 1927, il y avait une
source d’eau fraîche qu’on appelait la source Chargois. Elle est tarie de nos
jours, complètement bouchée par les sédiments apportés par la crue historique
du Mississipi. Néanmoins, l’endroit porte toujours ce nom et les vieux Lafayettois
se rappellent sinon s’y être baignés petits, au moins des histoires du temps
que l’eau coulait. Pendant longtemps, les élèves de Paul Breaux High School
remettaient au principal après chaque bonne pluie des têtes de flèches et des
morceaux de poterie qu’ils trouvaient sur le terrain d’école. D’autres
trouvailles suggèrent fortement non seulement qu’on habite ici depuis
longtemps, mais relativement en grand nombre aussi. C’était probablement un
lieu de rencontre où se passaient des échanges de toute sorte. Des sources
d’eau fraîche, en combinaison avec sa position géographique sur un coteau entre
le bassin de l’Atchafalaya à l’est et les savanes à l’ouest ont fait de cet endroit
un habitat idéal. Ce n’est pas étonnant, malgré ce que l’on peut nous faire
croire (ou du moins essayer de nous faire oublier), que les premiers habitants
soient toujours là.
La
toponymie, la science des noms de lieux, est souvent la gardienne du souvenir
des peuples précédents. La Louisiane, en plus de notre héritage français et
espagnol, décompte plusieurs noms d’origine amérindienne. Certains sont
pratiquement synonymes avec l’état : Bayou, Atchafalaya, Opélousas, Attakapas
ou Catahoulas. Petit Manchac, le nom original de Lafayette, avant même
Vermilionville, veut dire la petite porte en arrière! Est-ce que D. L. Ménard
en savait plus qu’il nous laissait savoir? En plus, quand nos langues
européennes nous ont fait défaut pour décrire les nouvelles flores et faunes,
les Amérindiens nous prêtaient des mots : chaoui pour raton-laveurs,
boscoyo pour genou de cyprès, choupique pour poisson-castor et mamou pour…
mamou. Des fois, il n’y pas d’autres mots.
De
nos jours, les Indiens louisianais parlent de plus en plus pour eux-mêmes. Que
ce soit les Houmas ou les Attakapas qui revendiquent leur reconnaissance
officielle ou les Koasati ou les Chitimachas qui réclament leurs langues ancestrales,
ils sortent de plus en plus de la longue ombre jetée par des années de silence.
Ce n’est pas tellement qu’ils étaient silencieux, c’est seulement que personne
ne les écoutait. Enfin, au début les premiers colons européens les écoutaient
pour savoir comment construire les maisons en bousillage, quelles plantes on
utilisait comme nourriture ou médicament, ou simplement comment survivre dans
ce nouvel environnement. Il est plus que temps que nous les écoutions de
nouveau. On en a besoin.