vendredi 31 mars 2017

La marque d’eau haute. Publié le 1er avril 2017 Acadiana Profile

La marque d’eau haute

« Le déluge mugissait comme un taureau furieux, les vents hurlaient comme les braiments d’un âne. Le soleil avait disparu, les ténèbres étaient totales. » Ainsi Outa-Napishtim raconte le Déluge à Gilgamesh dans un texte sumérien du milieu du IIIe siècle avant Jésus-Christ. Les histoires de déluge, d’inondation, d’eau haute ponctuent les légendes et récits des sociétés à travers la planète et à travers les âges. Le conte biblique de l’Arche de Noé, qu’on retrouve également dans le Coran, et la mythologie grecque parlent de grandes inondations dévastatrices qui oblitèrent tout ce qui précédait, ouvrant un nouveau chapitre dans l’histoire humaine. L’eau est essentielle à la vie; mais comme nous avons souvent vu en Louisiane, et encore tout récemment, elle peut ôter la vie ou au moins la rendre extrêmement difficile. Nous aimons profiter de notre proximité de l’eau, de pouvoir se régaler à la pêche, à la nage ou en bateau ou tout simplement prendre une bonne fraîche sur la galerie au bord de l’eau à la fin de la journée. Si on vit assez longtemps dans notre pays, tôt ou tard, l’eau ne restera pas tranquillement dans le bayou ou la rivière et viendra nous exiger le respect qu’on lui doit.

Dans la mythologie américaine, si on peut s’exprimer ainsi, l’Eau Haute de 1927 dont on commémore les 90 ans ce printemps, tient une place similaire à celle de Gilgamesh ou de Noé. À part les ouragans, les inondations représentent le plus grand danger que la nature nous réserve. Il n’est pas une exagération de dire que l’Eau Haute de 1927 marquait un point tournant dans l’histoire des États-Unis. Le premier domino menant à la catastrophe est tombé en août 1926 quand le bassin central du Mississipi a reçu une quantité énorme de pluie qui a saturé la terre. Une fois par terre, il n’y a qu’un point de sortie pour toute cette eau, le delta du Mississipi. Le 15 avril 1927, quinze pouces de pluie est tombée sur la Nouvelle-Orléans en 18 heures, ajoutant encore de l’eau à une tasse déjà débordant. Ce n’était pas avant le mois d’août que les eaux se sont retirées et que le Mississipi s’est enfin couché dans son lit. Entretemps, plus de 270,000 miles carrés étaient inondés, plus de 500 morts étaient à déplorer et plus de 700,000 citoyens américains se retrouvaient déplacés. Les pertes agricoles et commerciales étaient incalculables. L’ampleur du désastre, à une échelle que personne ne pouvait imaginer, a inspiré un grand nombre de récits, d’histoires et de chansons. On connaît tous l’histoire de la levée explosée inutilement en aval de la Nouvelle-Orléans, inondant sans raison les paroisses de Saint-Bernard et Plaquemines. Selon la génération, on connaît soit la version de Memphis Minnie, soit celle de Led Zeppelin ou encore celle de Bob Dylan, de « When The Levee Breaks ». William Faulkner dans « Old Man », adapté plus tard à la télévision, raconte une histoire d’amour pendant les opérations de secours. Même la politique du gouvernement fédéral américain, jusqu’alors hésitant à intervenir dans la vie quotidienne des citoyens, a dû changer de cap devant tant de souffrances humaines. Cette nouvelle attitude envers le rôle du gouvernement dans les affaires domestiques a préparé le terrain pour les grands programmes nationaux comme le New Deal pendant la crise financière des années 30.


L’Eau Haute de 1927 nous a aussi donné le Flood Control Act de 1928, ce qui a autorisé le Corps des Ingénieurs de l’Armée à concevoir et bâtir les structures nécessaires à s’assurer que le Mississipi n’inflige plus tant de dégâts. En 1937, le déversoir Bonnet Carré s’est ouvert pour la première fois, protégeant le bas du delta des crues. Depuis, on garde un œil vigilant sur « le Père des Eaux » pour qu’il reste entre les levées et on construit selon les mêmes principes sur d’autres cours d’eau avec le même succès. Néanmoins, 90 ans après, on est en droit de se demander : « Est-ce que ces mesures n’ont pas entraîné des conséquences secondaires imprévues? » La suffocation des estuaires? Plus d’eau haute ailleurs? Les inondations en août dernier nous ont montré que les solutions, quelles qu’elles soient, doivent être elles aussi de taille épique. 

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